Faim de sens

Une newsletter mensuelle pour s'émerveiller, revenir à l'essentiel, et savourer chaque instant. Cultiver la vie et la gratitude à travers la curiosité, la contemplation et la nourriture.

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Par Gabriella Tamas
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Une journée nourrissante -

où on fait la connaissance avec un pitbull

J'ai un problème sérieux. 

Je ne peux pas me reposer à la maison. 

C'est comme si cette capacité était manquante à l'intérieur de moi. 

J'imagine que le fait que je travaille beaucoup à la maison plus les années de covid n'ont rien arrangé.

Bien sûr, j'ai travaillé cette question en thérapie, en coaching, j'ai appris à poser mes limites, à fermer la porte de mon bureau, etc etc, n'empêche, je crois que c'est dans ma tête que ça se passe.

A la maison, mon esprit est taillé pour ce qu'il faut faire, et je précise que ce n'est pas parce que c'est moi la responsable de tout.

Donc ça ne vient pas de là. 

C'est mon esprit  : à la maison, même si la porte de mon bureau est fermée, il réfléchit. Non, en fait, il ne réfléchit même pas, mais il capte mes idées en vol et si elles sont intéressantes pour lui, il les retient, les observe sous tous les angles, les palpe, les essaie, les torture, les goûte, les mâche et les digère. Puis les recrache sous une autre forme : une tâche, une idée, un article ou tout autre chose. Comme un pitbull avec un objet trouvé : il ne les laisse partir avant de les avoir disséquées en morceaux. 

Il  n’y a rien à faire : dans cet environnement, mon esprit est tourné vers le travail. 

Quoi que je fasse. 

Je cuisine : une idée de recette pour le blog, ou une photo pour insta ou un livret quelconque. Je dépoussière la bibliothèque - un livre que je devrais relire. Ou le souvenir d'une idée que j'ai eue en le lisant. Ou un projet que je n'ai pas (encore) réalisé. 

Bref. Même quand MOI je ne travaille pas, LUI, il travaille. 

Toujours.

Alors je dois trouver des tactiques pour l'attirer ailleurs. Lui donner à manger, mais autre chose.

Le nourrir autrement.

Tiens, jeudi, nous avons décidé de passer une journée à la mer. Bien sûr, le matin même,  j'étais très très près de dire à ma fille qu'au final on reste : il fait gris, c'est de la route, j'ai plein de choses à faire. Mais le chat a décidé pour moi : il n'a pas le droit de sortir en ce moment et ses lamentations me fendent le cœur. J'ai donc choisi de m'éloigner. 

Direction la mer. 

Quand on arrive, je me mets à douter si c'était la meilleure idée du monde, mais ma fille me rassure :

-  J'ai regardé la météo, il va faire beau.

- Hmm - j'acquiesce sans conviction en regardant la couche de nuage épaisse descendue sous forme de brouillard au petit bois où nous prenons notre déjeuner anticipé. 

J'ai la forme du bonhomme Michelin : J'ai un débardeur, un sous-pull manche longue, une chemise, un pull, un polaire,un coupe-vent et une écharpe sur moi. Je réfléchis à comment me protéger la tête, enrhumée du vent froid. Le bouillon du thermos me réchauffe. 

- On va à la plage ? 

- Oui, je prends les chaises. 

On s’installe.

Il y a quelques surfeurs et une trouée bleue au-dessus de notre tête.

Je lis un peu, puis ferme mon livre et regarde les vagues.

La mer monte, il n'y a pas trop de vent sur la plage, et la danse de l’eau au rythme changeant me berce dans une torpeur agréable. 

Je tourne mon visage vers le ciel et j'enlève mon coupe-vent. L’écume blanche parsemée d'éclats de diamant danse sur fond bleu foncé et tient mon regard prisonnier. Je m'adonne à cette contemplation et quand j'émerge, le ciel à l'ouest est nettoyé des cirrus et le soleil tente une percée. 

J'enlève mon polaire et je reprends mon livre. 

Puis, du coin du regard, je perçois du mouvement. En levant les yeux et en tournant la tête, je ne vois pas tout de suite ce qui a attiré mon attention. Puis en fixant la direction, les ailes presque transparentes se dégagent de nouveau du sable avec un mouvement fébrile. La libellule change de place et vient de se poser sur un galet blanc. Non, deux libellules dans leur arc amoureux forment une sorte de cœur. Le temps d'attraper mon téléphone, le moment magique est fini. 

- Ok, j'ai compris, vous ne voulez pas être modèles. — Je leur lance d'un ton gai.

- À qui tu parles ? - ma fille lève les yeux de son roman. 

- Aux libellules.

- Où ?

- Elles étaient là - je montre dans la direction de la rangée de galet un peu plus haut.

- Parties ?

- Oui.

- Mais regarde ce galet ! 

- Ah, une ammonite.

- Et regarde, il y en a une autre

- Je ne la vois pas. 

- À gauche, un peu plus haut - elle me montre l'endroit.

- Tu viens de construire une tour ? 

- Tu me reposes la question dans une demi-heure ? 

- Ok, mais en attendant j'en fais une.

Je pars à la recherche de galets plutôt plats.

J'arpente la grève pour dénicher ces merveilles de tailles différentes, puis je choisis le bon socle déjà en place dans le sable et dépose ma plus grande trouvaille dessus. Je regarde, j'évalue la grandeur, la platitude, je pose et j'enlève, je tourne les galets pour trouver la situation la plus stable. Parfois, je repars à la recherche d'une autre pièce, mais je ne dois pas trop m'éloigner de ma tour naissante, il y a le choix. Lors d'un passage à côté de ma chaise basse, j'enlève mon pull et je le dépose sur le dossier vert pomme. 

Ma tour devient haute et instable. Je cherche des yeux un galet rond pour couronner le tout. J'en trouve un et je le dépose délicatement.

Ouf, ça tient. 

J'ai envie d'en prendre une photo, c'est beau. En regardant ma photo, je ne vois que du bleu dans le ciel. Je lève les yeux, et en effet, les prévisions avaient raison. Plus un nuage à l'horizon, ni à l'est, ni à l'ouest. Je suis en débardeur, à présent. 

La plage commence à s'animer. En plus des surfeurs plus que motivés de plonger dans l'eau à 14 °C dans leur combi moulante, des familles commencent à arriver. Les bruits de vagues sont ponctués à présent de rires et de cris d'enfants sautant dans les vagues avec une joie mêlée d'appréhension du froid. D'autres gardent leur pull ou leur coupe-vent, creusent avec des pelles et construisent le château de leurs rêves en galet, plume, bois flotté, que l'Atlantique engloutira en moins d'une heure. Ils sont heureux. Je suis aussi fière d'empocher quelques regards admiratifs avec ma tour zen.

- On se trempe les pieds ? 

- Sérieux ? 

- Oui !

- Allez !- consent ma fille et se lève lourdement, pas convaincue de l'entreprise.

Le sable sec s'est réchauffé, mais en arrivant sur le sable léché par les vagues successives, nos pieds refroidissent rapidement. Nos pantalons retroussés au-dessus du genou ne craignent rien, et nous nous aventurons dans l'eau sur la pointe des pieds. La sensation d'arriver à la maison m'envahit, comme à chaque fois : le rythme des vagues, le bruit sourd des mini chutes du Niagara (certaines vagues font plus d’1 m de haut !), l'énergie captée par toutes les cellules de mes pieds et mes mollets me font parcourir un frisson sur le dos ( regarder dans le livre de David Keltner ... quel type de frisson c'est - me traverse l’esprit. Puis au diable de la science des frissons et de l'awe - répond une autre pensée du tac au tac.)

Je dois juste être là. Présente. 

Rien d'autre ne compte. 

Ouf, j'ai évité de justesse de replonger dans les questionnements et les recherches. Je dois occuper mon pitbull intérieur avec mes sensations. 

Je marche. Je regarde. Je sens. 

Le temps rétrécit (ou se dilate ? - peu importe). Je suis absorbée par les vagues, l'eau, le sable, le soleil sur ma peau. Je marche comme un somnambule diurne le long de la plage, je ressens le froid qui engourdit un peu mes pieds, je joue avec le sable qui se creuse sous mes plantes quand l'eau se retire, j’écoute le bruit quand je me dégage enfin du trou formé, je capte la lumière dansant sur l'écume, je m'émerveille sur les motifs que les coquillages et les pattes des chiens dessinent sur le sol avant d'être lavés par un nouveau mouvement de l'océan. Derrière le semblant de calme je sens l'énergie, le mouvement, le changement. La force, même. Qui revient inlassablement faire son job de construction, déconstruction, reconstruction. La vie, quoi. 

L'effet de cette seule journée (et même pas une journée, juste quelques heures) est indescriptible. Nous chantons à tue-tête les tubes d'Abba  dans la voiture, même quand nous rentrons dans le brouillard angevin qui ne s'est pas levé depuis trois jours. Notre énergie et bonne humeur restent intactes les journées suivantes malgré le fait qu'il faut retourner à l'école, au travail, qu'il y a des choses à régler, à gérer, des soucis, des problèmes de toutes sortes. 

Mon pitbull est à présent occupé à ronger les os venant de la mer. Il en a pour un certain temps. 

Nous sommes bien nourries. 

Et nous planifions déjà une prochaine journée de ressourcement. 

Qu’est-ce qui VOUS nourrit ? 

Comment pouvez-vous prendre soin de vous en cette période ?

  • Avec des conversations vraies et sincères ?

  • En étirant votre corps ?

  • En vous couchant plus tôt ?

  • En vous déconnectant ?

  • En faisant des balades dans un parc ou dans la forêt ou à la mer ? 

  • En lisant de la poésie ?

  • En compagnie des animaux ou des enfants ?

  • En buvant une bonne tasse de thé ou de tisane, en conscience ?

  • Autrement ? 


Écoutez votre voix intérieure et faites confiance à vos décisions. Demandez-vous si vous ne voudriez pas en faire plus. Demandez-vous si vous devez en faire moins. Laissez-vous aller à ressentir ce qui se présente, en sachant que tout cela a beaucoup de sens. Laissez-vous traverser un moment à la fois.

Prenez soin de vous. 

“Ce qui est vrai et important n’a pas besoin d’être impressionnant. Il a juste besoin d’être exprimé. “